Chaque jour, manger un peu amer

Chaque jour, faire un peu de ce qui t’est contraire ou opposé.

Un peu de contrainte. Aller aux détails quand tu es plus dans la globalité, aller vers les chiffres quand tu es plus dans l’humain. S’obliger rend libre - car la liberté n’existe que dans un cadre. Au risque sinon du déséquilibre de la personne et de la non-construction voire de la non-individuation dans la durée. Sans cela, cela flotte. Cela dérive. 

Chaque jour, manger un peu amer. 

Et « amer » en voile indique le point de repère fixe –un phare, une butte…- pris sur la terre et suivi régulièrement par le navigateur lorsqu’il est en mer. Sinon, il dérive sans même s’en rendre compte. 

L’Amertume, un goût que nous avons perdu, comme l’acidité. Qu’avons-nous perdu avec l’Amertume ? Le sel de la vie ? Nous sommes les enfants du Sucré. Le Sucre endort et inhibe. Amertume et acide réveillent. C’est le XVII° siècle qui a séparé le sucré et le salé, ils étaient autrefois mélangés durant les repas. Ce siècle, en France, a imposé petit à petit un ordre des choses à manger, ordre qu’il fallait respecter, salé d’abord, puis sucré.

Les enfants du sucré, comme celui de la cabane de la sorcière de Hansel et Gretel, pour mieux les manger ?

Le sucre est rajouté dans nos aliments, dans les pommes, les hamburgers…le sucre assoupit et engourdit. Il a d’ailleurs été utilisé aussi pour cela. Il endort et déréalise. La réalité impose des contraintes*. L’absence ‘‘ressenti’’ nous rend esclaves. La contrainte, comme l’obstacle, font grandir, car il faut les dépasser.

La recherche du plaisir immédiat de la consommation fait tomber dans le piège, de l’éphémère et de l’instable. Il génère une frustration éternellement recommencée – puisque ‘‘consommer’’ c’est vouloir toujours plus, différent, mieux, autre, que sais-je ? Un plaisir « revolving » en quelque sorte, du « binge » sans fin, de la caverne sans même la vision des ombres qui passent.**

Quand la soif de l’avoir tue la soif de l’être.

Chaque jour, manger un peu amer. 

Cet équilibre apporté par le « manger un peu amer chaque jour » est à mettre en rapport avec  l’approche de la médecine traditionnelle qui est de soigner préventivement, pour que le patient ne tombe pas malade. D’ailleurs devons-nous dire encore « patient » dans ce cas-là ?

Chaque jour, faire un peu de ce qui t’est contraire ou opposé. 

Tu comprendras alors la mesure de toute chose.

Marie Elisabeth Boury ‘MEB’

Extrait de l’ancien Blog Le Monde chinois et Moi by MEB

* ‘‘A quoi reconnait-on la réalité ? A ce qu’elle fait mal.’’ Citation de Jacques Lacan -de tête, espérant ne pas la déformer.

** Mythe de la caverne https://www.les-philosophes.fr/la-republique-de-platon/Page-6.html

Hansel et Gretel https://fr.wikipedia.org/wiki/Hansel_et_Gretel

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